samedi 21 avril 2018

«Miles Davis & John Coltrane: The Final Tour»: la tournée des adieux

Miles Davis
Miles Davis

Miles Davis, John Coltrane et des bandes enregistrées à Paris, à Copenhague et à Stockholm. Des bandes n’ayant jamais été publiées jusqu’à tout récemment et qui ont fait jaser et rêver pendant des lunes. Voilà qu’après avoir réglé des questions de droits si complexes qu’il a fallu au-delà d’une bonne année de négociations pour lever les barrières à leur publication, celles-ci ont enfin été regroupées dans un coffret comprenant quatre disques accompagnés d’un livret de 31 pages. On insiste : ce que CBS propose sous le titre Miles Davis John Coltrane : The Final Tour est une somme d’inédits.


Serge Truffaut, Le Devoir, le 31 mars 2018


Cet ensemble vaut son pesant d’or, car sa valeur historique est égale en importance aux beautés musicales déclinées par Davis et ses complices. Ce moment, soit plus exactement cette tournée effectuée durant trois semaines de mars 1960, est en fait le dernier épisode dans l’histoire d’une formation que bien des critiques de renom considèrent comme la meilleure ou l’une des trois meilleures du jazz.

John Coltrane
John Coltrane
À cet égard, il faut rappeler que quelques mois auparavant, cette bande de cadors avait publié l’album jugé, lui, comme le plus grand de l’histoire : Kind of Blue. Seule différence, Wynton Kelly est au piano à la place de Bill Evans. Cannonball Adderley est absent, mais la base rythmique est la même que sur le disque évoqué : Paul Chambers à la contrebasse et Jimmy Cobb à la batterie. Bien.

De tous les faits détaillés par Ashley Kahn dans le livret, on a retenu celui-ci : Coltrane a entamé cette tournée à reculons. Dès le départ, il avait prévenu Davis que ce serait sa dernière avec lui. Bonjour l’ambiance ! Le trompettiste fut d’autant plus ébranlé par cette décision que Coltrane lui devait énormément. C’est Davis qui en effet avait « sorti » Coltrane de Philadelphie au milieu des années 1950. Davis qui, entre ses enseignements et ses encouragements, a transformé Coltrane d’accompagnateur en vedette à part entière. Bref, sa maturité musicale, Coltrane l’a développée sous la gouverne de Davis.

À l’écoute de ces quatre albums qui proposent plusieurs interprétations des pièces enregistrées pour la confection de Kind of Blue, en plus des classiques comme On Green Dolphin Street, Walkin’, Oleo et Round About Midnight, on sent la tension qu’il y avait alors entre les deux vedettes du groupe. Autant Davis conjugue son jeu de façon succincte, avec sensibilité, voire fragilité, autant Coltrane conjugue le sien avec fureur, passion et longues envolées. En d’autres termes, autant Davis colle au jazz modal, autant Coltrane est déjà dans son univers où la quête spirituelle transcende tout ce qui relève de la musique et de sa grammaire.

Il était tellement loin, Coltrane, que Cobb, toujours de ce monde, toujours actif, toujours aussi grand, a confié à Khan : « Il nous avait tous dépassés. » Après cette tournée, Coltrane va former son groupe. Plus jamais il ne jouera sous la direction d’un tiers. La passion qui distingua son jeu lors de ce périple européen, notamment cette inclination à jouer des grappes de notes plutôt que la note après la note, séduisit tellement d’impresarios européens qu’à peine son quartet formé, il fut invité partout en Europe.

Au fond, cet album a ceci de particulier qu’il est le relais entre le Coltrane accompagnateur et le Coltrane figure dominante du jazz dans les années 1960.

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